La Nature Sur Écoute

La Nature sur Écoute - Épisode Pilote - Grenouilles Disco ou Jazzy ?

La Nature sur Ecoute

"La Nature sur Ecoute" est un projet de Podcast natif sur le thème de la Bioacoustique que nous avons, Wonderful Wife(TM) et moi, ambitionné de créer depuis un certain temps déjà. L’objectif de ce projet de podcast est d’explorer la variété des sons produits par le vivant et de réfléchir à leurs natures et usages. Discussions entre plantes et insectes, syntaxe animalière, cacophonie sub-aquatique ou encore vibrations des cultures agricoles, les sujets que nous voudrions aborder embrassent la diversité du vivant et varient les approches pour titiller la curiosité des auditeurs.
Les lecteurs de SSAFT et auditeurs de Podcast Science savent que nous affectionnons particulièrement le format audio et pourront peut être s'interroger de notre partenariat avec Futura pour développer ce projet, plutôt que de le créer nous même. C'est que nous voulions pouvoir bénéficier d'un accompagnement technique, d'une production de qualité ainsi que d'un regard extérieur. Nous avons été comblé d'avoir été accompagné tout du long par Emma Hollen, dont la rigueur, le talent et le professionnalisme n'ont d'égal que sa gentillesse.
Nous avons pu produire et diffuser 3 premiers épisodes de "La Nature sur Ecoute" sur Futura comme un Hors-Série estival de leur programme "Bêtes de Science" (un podcast que je recommande, avec la belle voix de Marie "La Boite à Curiosités"). Je publierai donc ici les scripts des épisodes, ainsi que des références et liens destinés aux curieux qui souhaitent approfondir le sujet. Et pour commencer, le premier épisode concerne les vocalises des grenouilles.
Bonne écoute !

(pour les plus curieux d'entre vous, une comparaison est possible entre le travail de montage remarquable d'Emma Hollen et mes maigres compétences en écoutant le pilote que nous avions préparé pour démarcher Futura)

Script :

C'est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n'écoute pas.

Victor Hugo
Manuscrit 13 423. "Ceci et cela". F° 239. Vers 1860

Alors, écoutons-là !

PIERRE : Tiens Élise, écoute.

[Cri strident d'une première puis d'une seconde grenouille.]

ÉLISE : Hmmmm… On dirait la musique du film Psychose, mais j’imagine que ce n’est pas ça.

– Non en effet. Il s’agit d’un chant de grenouilles. 

– Ah, je ne l’aurais pas deviné.

– Plus précisément, ce sont des grenouilles d’Afrique occidentale, de Côte d’Ivoire ; des mâles pour être parfaitement exact. Ils sont en train d’essayer de séduire une femelle avec leur chant nuptial.

– Hmm, Personnellement, je ne trouve pas ça très séduisant, mais… je suis une humaine, pas une grenouille gluante. Et je veux bien croire que toutes les femelles grenouilles gluantes trouvent ce chant extrêmement attirant.  

– Toutes? Ben, pas vraiment à vrai dire ! Est-ce que tu avais remarqué que ce n’était pas un mais deux chants de deux mâles différents qui se succédaient dans l’enregistrement ? On peut le réécouter si tu veux. 

[Le cri de la première grenouille est légèrement plus grave que celui de la seconde.]

ÉLISE : La différence entre les deux est très subtile, non ?

Conraua

– Pour toi certainement, mais pour une femelle grenouille, c’est une autre chanson, littéralement. Je te propose une petite expérience. Imagine que tu rentres du travail, un verre de champagne t’attend sur la table et je mets cette musique.

[Musique disco sexy.]

– Hmm, pas mal. Peut mieux faire.

– D'accord, et maintenant qu'est-ce que tu penses de ça ?

[Musique de jazz sensuelle.]

– Ah, nettement mieux ! Donc si je comprends bien ta petite expérience, tu es en train de me dire que les grenouilles femelles perçoivent la différence entre les chants des mâles aussi clairement que moi entre ces deux morceaux.

– Oui c’est ça.

– Et donc j’imagine que certaines femelles vont préférer la version disco et d’autres la version jazzy.

– C'est exactement ça. 

– Je me demande si la discothèque des grenouilles est aussi variée que celles des humains

– Alors, la comparaison avec les humains a ses limites quand même. D’ordinaire chez une même espèce, les mâles produisent tous le même chant. On dit que les chants sont stéréotypiques.

– Hmm, je comprends. Donc si certaines femelles préfèrent un chant, c’est plutôt par instinct que par goût personnel. Mais attends, ça signifie que tout à l’heure on a entendu les chants de deux espèces différentes ?

– En effet, même si dans ce cas précis, la situation n’est pas si évidente. À la base, un groupe de chercheurs s'intéressait à la biodiversité d'une région d’Afrique occidentale et ils s'attendaient à y trouver une seule espèce précise de grenouille. Mais lorsqu’ils ont enregistré les sons que je t’ai fait écouter, ils se sont rendu compte qu'il y avait peut être deux espèces différentes. 

– D’accord, donc quand les chercheurs entendent deux chants différents ils concluent à deux espèces différentes, c’est bien ça ?

– Pas si facile que ça : pour s'assurer qu'il s'agit bien d’espèces différentes, il faut réunir un ensemble de preuves. Acoustiques, comportementales, anatomiques, génétiques, etc. Dans notre cas, le souci, c’est que ces deux grenouilles se ressemblaient quasiment trait pour trait. Les chercheurs ont donc poursuivi leur enquête en analysant leur ADN, car les données génétiques sont beaucoup plus précises que l’observation. Ce sont ces résultats qui leur ont permis de conclure qu’ils avaient affaire à deux espèces différentes.

– Je comprends. Mais en même temps c’est un peu bizarre de distinguer deux espèces de grenouilles alors qu’elles se ressemblent autant, non ? 

– C’est une bonne remarque. À vrai dire la définition d'espèce n'est pas simple du tout. On dit que deux animaux appartiennent à des espèces différentes quand leur progéniture n’est pas capable d’avoir des petits. Par exemple, un âne et une jument peuvent avoir un bébé ensemble : une mule. Mais dans la plupart des cas, cette mule ne sera pas capable d’avoir d’enfant.

– D’accord. Je vais essayer de prendre en compte l’ensemble de ces infos pour récapituler ce que je comprends de toute l’histoire. tu m’arrêtes si je me trompe.

– Ok.

[Bruit de cassette que l'on rembobine]

– En Afrique occidentale, on a des grenouilles qui ont toutes la même apparence. Mais le chant des mâles est différent et séduit une partie seulement des femelles avec lesquelles ils peuvent avoir des petits têtards. Donc si une femelle de l’équipe disco se laisse séduire par un mâle de l’équipe jazzy, a priori c’est fichu, pas de bébés. 

– Oui… de manière générale.

– Mais, ce serait pas possible que… Attends, j’ai une idée qui me vient à l'esprit, une sorte de scénario évolutif qui expliquerait ces différences. Imagine : au début, on a une seule espèce qui vit au même endroit.

– D'accord.

– Mais certains mâles commencent à jouer du jazz, alors que d’autres continuent la mode du disco. En somme, leurs chants deviennent de plus en plus distincts. Tous ces mâles séduisent néanmoins des femelles attirées par leurs chants respectifs et se reproduisent. Peu à peu deux groupes séparés se créent et finissent par vivre suffisamment à part pour se diviser en deux espèces. Ça te semble complètement fou ou… ?

– Bah, je ne sais pas si ç’a été le cas avec nos grenouilles d’Afrique occidentale, mais ce phénomène existe. On appelle ça la spéciation. C’est-à-dire l’apparition d’une barrière entre des populations, des groupes d’une même espèce. Cette barrière peut être...

– Physiologique?

– C’est-à-dire?

– Le développement des caractères physiques qui empêcheraient des individus de se reproduire ensemble.

– Oui, par exemple. Mais parfois il y a même plus radical. Imagine qu’une île se retrouve soudain divisée en deux à cause de la montée des eaux : d’un coup, on a une barrière géographique qui empêche les membres d’une même espèce de se rejoindre. Et puis il y a les barrières comportementales.

– Oui, comme ici donc, où les grenouilles ont des chants différents. Mais c’est un peu triste comme histoire. Ça veut dire que des sérénades amoureuses ont divisé des groupes au point de créer des espèces différentes.

– Oui, mais des fois ça les rapproche. Moi j’aime le jazz aussi, tu sais.

– Viens que je t’embrasse mon crapaud.

Merci d’avoir écouté ce premier épisode de la Nature sur Ecoute, le hors-série estival du podcast Bêtes de Science. Si cet épisode vous a plu, n’hésitez pas à le partager autour de vous et à découvrir nos autres podcasts sur vos plateformes audio préférées et sur futura-sciences.com. Rendez-vous dans deux semaines pour un nouveau numéro dédié aux criquets mutants de l’île d’Hawaï. D’ici là, tendez l’oreille !

Musique et bruitages :
Flying Ukes, par Brian Holtz
Faster Does It, Stringed Disco et DarxieLand, par Kevin MacLeod
Licence: https://filmmusic.io/standard-license
Noire, par MusicByPedro
Zapsplat

Liens et Références :
Cette histoire est en partie expliquée dans le documentaire Espèce d'Espèces qui s'appuie sur les études du Dr. Mark-Oliver Rödel.
Blackburn, D. C., Nielsen, S. V., Barej, M. F., Doumbia, J., Hirschfeld, M., Kouamé, N. G., Lawson, D., Loader, S., Ofori-Boateng, C., Stanley, E. L., & Rödel, M.-O. (2020). Evolution of the African slippery frogs (Anura : Conraua), including the world’s largest living frog. Zoologica Scripta, 49(6), 684‑696. https://doi.org/10.1111/zsc.12447
Rodel, M. O. (2003). The amphibians of Mont Sangbé National Park, Ivory Coast. SALAMANDRA-BONN-, 39(2), 91-110.
Rödel, M. O., & Branch, W. R. (2005). Herpetological survey of the Haute Dodo and Cavally Forests, western Côte d’Ivoire. Une Évaluation Biologique de Deux Forêts Classées du Sud-ouest de la Côte d’Ivoire A Rapid Biological Assessment of Two Classified Forests in, 67.

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