Science

Colibris, Umami et Sucreries

Brillant fer-de-lance (Heliodoxa jacula), Chris Morgan 
Les colibris, ou oiseaux mouches, tout le monde les connait. Ce sont les stars des documentaires animaliers avec les célèbres séquences au ralenti de leur fantastique vol stationnaire tandis qu'ils sirotent avidement le nectar de fleurs. Leur côte populaire, ils la doivent aussi à leur petite taille qui renforce le côté Kawaï, notamment quand on révèle les œufs tchoupis déposés par maman colibri dans son nid.

Oeufs de colibri, Mellisuga helenae 

Phylogénie des Colibris

Mais pourtant, au-delà de ces quelques images frappantes, en voulant consacrer un billet sur le sujet, je me suis très vite rendu compte que j'y connaissais peau de zob en colibris. Par exemple, je m'imaginais qu'il devait exister deux trois espèces de colibris à travers le monde... Alors inutile de dire que j'ai été un peu surpris de découvrir cette planche, réalisée par Ernst Haeckel, dans laquelle on peut survoler (haha) la diversité des colibris.

Ernst Haeckel, Kunstformen der Natur (1904), plaque 99: Trochilidae
Ah oui donc c'est un peu la fête du slip en plume au niveau de la variété chez les colibris! Dans cette planche, on voit 12 des 338 espèces actuelles de colibris! (De haut en bas et de gauche à droite, Archilochus colubris, Heliactin bilophus, Topaza pella, Sappho sparganura, Lophornis ornatus, Ensifera ensifera, Eutoxeres condamini, Lophornis gouldii, Colibri serrirostris, Augastes lumachella, Sephanoides fernandensis et Ocreatus underwoodii). Cette planche réprésente un petit aperçu de la diversité des colibris mais permet déjà de se rendre de l'incroyable variété de formes, de plumages et même de becs qui existe chez ces volatiles! Malgré ce fouillis de plumes, on est tout de même en mesure de départager 9 familles de colibris. On décrit par exemple la famille des topazes comme Topaza pella:

Topaza pella, Allan Hopkins
La famille des ermites comprenant l'étrange bec-en-faucille Eutoxeres condamini:

Bec-en-faucille de La Condamine, Eutoxeres condamini, Christopher C. Witt
Les mango, dont le sophistiqué mango à cravate noire Anthracothorax nigricollis:

Ma,go à cravate noire, Anthracothorax nigricollis
Les brillants avec par exemple le brillant fer-de-lance Heliodoxa jacula (représenté en haut de l'article), et son rival pour celui qui a la plus longue, le colibri porte-épée (Ensifera ensifera):

Colibri porte épée, Ensifera ensifera, Joseph C Boone
ou encore la Loddigésie admirable Loddigesia mirabilis aux improbables plumes de la queue :

Loddigésie admirable, Loddigesia mirabilis, Bernardo Roca-Rey Ross

On connait même une famille de colibris géant, les Patagona, comme par exemple Patagona gigas (bon OK, juste 21 cm de long….):

Colibri géant, Patagona gigas, Jimmy A McGuire
Une autre famille au nom évocateur: les coquettes, avec par exemple la Coquette huppe-col Lophornis ornatus:

Coquette huppe-col Lophornis ornatus
Les gemmes des montagnes arborent des couleurs incroyables, en témoigne ce magnifique colibri insigne, Panterpe insignis:

colibri insigne, Panterpe insignis
Une autre famille avec un nom qui porte à confusion, celui des abeilles (aucun lien). Parmi eux, le colibri améthyste, Calliphlox amethystina:

colibri améthyste, Calliphlox amethystina, Lindolfo Souto
Enfin, il y a la famille des émeraudes (encore un nom trompeur) avec par exemple le campyloptère violet, Campylopterus hemileucurus:

campyloptère violet, Campylopterus hemileucurus, Tomas Grim
Bon, vous commencez à le comprendre, on ne fait pas trop dans le discret chez les colibris... Et en plus, ces quelques photos sont loin de représenter les délires morphologiques qu'on peut rencontrer parmi les 338 espèces actuelles de colibris. Autre a priori: je pensais que les colibris étaient répartis à travers le monde. Or on n'en trouve aujourd'hui que sur les deux continents américains.
L'incroyable diversité des colibris est une histoire étonnamment récente. Leur histoire évolutive n'a en effet débuté qu'il y a seulement 42 millions d'années, lorsqu'ils ont divergé de leurs plus proches cousins, les martinets.

Martinet noir, Apus apus

Par ailleurs, on estime que le dernier ancêtre commun de tous les colibris actuels vivait il y a 22,4 millions d'années quelque part en Amérique du Sud. 22 millions d'années d'évolution pour obtenir 338 espèces, c'est une success-story évolutive comme on en fait peu! En biologie évolutive, on parle de radiation explosive! Et pour étudier le phénomène, rien de tel que de faire appel à des phylogénéticiens pour mettre de l'ordre dans les relations de parentés entre les différentes familles de piafs-mouche. C'est ce qu'a réalisé une équipe de chercheurs américains et canadiens à l'issue d'un projet qui aura duré 10 ans! Il faut dire que le boulot à abattre était énorme: pour réaliser leur analyse phylogénétique, 436 spécimens appartenant à 284 des 338 espèces connues de colibris ont été échantillonnés. Sachant que certaines espèces nichent à 4000 mètres d'altitude où l'air est raréfié en oxygène, la collecte de ces échantillons relève de l'exploit olympique (d'ailleurs, certains membres de l'équipe sont tombés dans les pommes et ont dû abandonner leurs travaux tant les conditions d'échantillonnages étaient ardues)! A partir de tous ces prélèvements, de l'ADN a été isolé pour permettre la caractérisation de la séquence de différents gènes. Tout ce travail pour réaliser cet arbre qui retrace les relations de parentés de tous les colibris.

Arbre phylogénétique avec calibration temporelle de 284 espèces de colibris, McGuire et al., 2014

En utilisant le principe de l'horloge moléculaire, l'arbre a également été calibré dans le temps ce qui permet de dater grossièrement des évènements de diversification d'espèces. Ces données ont tout d'abord permis de confirmer que les colibris se sont bien séparés des martinets il y a 42 millions d'années, ce qui est en adéquation avec la découverte de fossiles de colibris d'Allemagne du Sud, de Pologne et de France, vieux de 30 millions d'années et surnommés, Eurotrochilus.

Eurotrochilus, Nicolas TourmentReconstitution du spécimen polonais d'Eurotrochilus noniewiczi , Piotr Gryz
Ce qui est très bizarre, c'est qu'on ait trouvé ces spécimens en Europe, alors que pour rappel, la distribution des espèces de colibris actuels est exclusivement américaine:

Distribution des colibris actuels, dont Amazilia rutila
Or, les fossiles d'Eurotrochilus ressemblent fortement à des colibris modernes dans le sens où il s'agissait déjà d'espèces d'oiseaux friands de nectar et capables de vol stationnaire. Pour comparaison, leur plus proche parent dans le registre fossile, c'est Parargornis messelensis, un oiseau ayant vécu durant l'Eocène (42 Ma), et qui ressemblait bien plus à un martinet (donc insectivore):

Holotype de Parargornis messelensis , Gerald MayrReconstitution de Parargornis messelensis , Piotr Gryz
Du coup, la question qui se pose, c'est : qu'est ce qui est arrivé aux colibris d'Europe? Extinction massive, migration, enlèvement extra-terrestre? Une hypothèse privilégiée par Gerald Mayr, un des paléontologues à l'origine des découvertes de fossiles de colibris européens, ce serait que les colibris européens soient entrés en compétition avec d'autres oiseaux nectarivores, conduisant à une compétition trop féroce. Les colibris sud-américains auraient été plus peinards niveau compétition, ce qui aurait permis à ces derniers de coloniser de nombreuses niches écologiques tandis que les européens se faisaient gentiment évincer...
Pourtant, il ne faut pas croire que les colibris sud-américains se soient tournés les plumes de leur côté. Ils ont en effet eu leur lot de changements climatiques et écologiques rapides et importants! Par exemple, la chaine des Andes se serait rapidement élevée entre il y a 10 et 6 millions d'années, soulèvement qui aurait entrainé son lot de modifications écologiques (rappelez-vous ce qui arrivait à ces pauvres chercheurs qu'on envoyait brusquement à 4000m d'altitude…). Du coup, ces modifications écologiques rapides auraient accéléré l'accumulation de différences entre populations de colibris, avec des pressions de sélection de ouf malade! Ce genre d'évènements peut parfois augmenter le taux de spéciation au sein des espèces. La spéciation, c'est le mécanisme à l'origine des séparations progressives des populations d'une même espèce et qui aboutit à l'établissement de nouvelles espèces distinctes.
Mais il n'y a pas que les catastrophes géologiques qui ont contribué aux bouffées de spéciation qu'on trouve chez les colibris. En effet, les colibris entretiennent des relations étroites avec les plantes à fleurs dont ils boivent le nectar car pour la fleur, le colibri représente un potentiel pollinisateur (trempant son bec de corolles en corolles, le colibri est vite saupoudré de pollen et joue finalement le rôle de pénis volant pour la fleur qui peut ainsi féconder toutes les fleurs environnantes sans bouger son gros pétale…).
 



Du fait de cette interaction, il va y avoir une imbrication évolutive entre les deux partenaires qui génère des pressions sélectives importantes sur la fleur ou sur l'oiseau: une fleur un chouïa tordue, ou à la corolle un peu plus longue que ses voisines sera pollinisée plus efficacement par un oiseau dont le bec est plus adapté à cette forme de fleur, et vice-versa. Certains colibris peuvent en plus avoir une morphologie et un comportement qui favorisent le vol de nectar, sans passer par la case pollinisation! Pas étonnant que dans ces conditions, on puisse trouver jusqu'à 25 espèces de colibris cohabitant dans un même écosystème. Et pourtant ils se nourrissent tous grosso-modo de la même chose: du sirop de plante!

Passion Nectar

Cette préférence alimentaire pour le nectar est intrinsèquement liée à la nature du colibri. Ce sont tout de même des oiseaux dont le vol stationnaire requiert au minimum 50 battements d'ailes par seconde (avec des pointes à 200 battements par seconde). Ce vol leur est nécessaire pour se positionner correctement pendant le sirotage de nectar...
 


Mais aussi pour se foutre sur la gueule:
 


Ou encore jouer la sérénade avec les plumes de leur queue, en faisant des piqués :
 

 

 


Du coup pour réaliser toutes ces prouesses, il est crucial que les colibris aient une alimentation ultra énergétique: un peu comme des drogués des boissons énergisantes... A retenir que si leur vol est la locomotion la plus coûteuse en énergie parmi les vertébrés, les colibris sont également capables d'autres exploits tout aussi gourmands en énergie et résumés sur le blog Sweet Random Science ou encore dans cette infographie (cliquez pour la télécharger sous format pdf):

Infographie sur les colibris
Que d'adaptations tout de même! Parmi elles, une de mes préférées est leur capacité à rentrer en torpeur, un état d'hibernation quotidien et qui permet au colibri de faire chuter drastiquement sa température interne (de 40 à 18°C), les battements de son cœur et sa consommation d'oxygène. La torpeur est tellement intense que des colibris peuvent s'endormir à l'envers sans soucis:
 


Ils sont aussi capables de produire des sons pendant leur torpeur, qui ressemblent au ronflement le plus adorable du règne animal (même s'il est probable qu'il s'agisse en l'occurrence d'un cri d'alerte, pour que ses congénères lui viennent en aide alors qu'il est incapable de bouger un muscle) :
 


Mais ce qui va nous intéresser plus particulièrement aujourd'hui, ce n'est pas comment les colibris pioncent, mais comment ils se nourrissent. En effet, il y a deux mystères autour de la nutrition des colibris : comment ils aspirent le nectar, et quel goût le nectar a pour les colibris. Vu l'importance de l'alimentation des colibris pour leur diversification, vous pouvez comprendre à quel point il s'agit de questions cruciales pour appréhender l'histoire évolutive de ces petits piafs.
Mais pour aller voir comment se nourrit un colibri, va falloir s'approcher vachement près! Et pour les observer de près, faut quand même s'accrocher! Alors on peut, comme ce vénérable brésilien, domestiquer son colibri:
 


Ou bien on peut aussi utiliser ces fantastiques masques d'observation de colibris:

Eye to Eye Hummingbird feeding mask
 


Attention cependant si, en tant qu'Européens, vous songez à faire venir des colibris vers nos latitudes, la contrebande est sévèrement punie, notamment avec une humiliation publique qui dévoile les dessous du trafic (littéralement...):

Contrebande de Colibris
Contrebande de Colibris
Contrebande de Colibris
Contrebande de Colibris
Or donc, la première question qu'on peut se poser, c'est comment les colibris lapent le nectar des fleurs? Est-ce que ça se passe comme pour les chats ou les chiens? Pour cela, eût-il fallu que les langues des colibris aient la même forme que celles des mammifères! Or, la langue des colibris est (roulement de tambour...) fourchue:

La langue fourchue des Colibris


Langue de Colibri
Langue de colibri dans du liquide
Langue de colibri vue au microscope électronique
C'est d'ailleurs en appréhendant précisément la forme de la langue des colibris que des chercheurs ont commencé à comprendre comment nos boules de plumes faisaient pour absorber le nectar. Initialement, de nombreux chercheurs considéraient que le bec et la langue permettait l'absorption du liquide par capillarité et succion, les deux faisant office de paille pour l'oiseau. Cependant en 2012, des chercheurs de l'université du Connecticut ont montré que les langues des colibris, en rentrant dans du liquide, devenaient fourchues et se séparaient en deux sortes de plumeaux:
 

 

 



Schéma explicatif de l'anatomie de la langue d'un colibri, Rico-Guevara, 2011

Comportement de la langue du colibri dans du liquide permettant de capturer du nectar, Rico-Guevara, 2011
Voici une vidéo où Margaret Rubega, la chercheuse à l'origine de cette découverte, explique ses recherches:
 

Lecteur vidéo intégré



Traduction:
_ Les langues de mammifères sont complètement différentes des langues d'oiseaux.
Il s'agit de Margaret Rubega, et si, tout comme moi, n'aviez même pas considéré l'existence des langues d'oiseaux...
_ Vous savez c'est normal, les gens n'ont pas souvent l'occasion d'observer les langues d'oiseaux.
Mais maintenant vous pouvez! Les colibris utilisent leur langue pour capturer du nectar. Rubega et son collègue, Alejandro Rico-Guevara voulaient comprendre comment cette langue fonctionne, donc ils ont filmé des colibris près de mangeoires, puis ont regardé sous le microscope des langues de spécimens naturalisés et voici ce qu'ils ont trouvé:
_ Les oiseaux n'ont qu'à pousser la langue hors du bec et la forme de la langue, interagissant avec le liquide, fait tout le reste.
La langue se déploie dans le liquide. Ces structures plumeuses, recouvertes de kératine, sont appelées...
_ le terme technique est 'lamelli'.
Et le terme non technique?
_ Des franges de... langue... Je suis désolé de vous apprendre qu'on est suffisamment geek dans le labo pour utiliser le terme technique tout le temps...
Les lamelli sont plus courts à l'extrémité qu'au niveau du milieu de la langue ce qui fait que quand la langue est extirpée du liquide...
_ les lamelli s'enroulent de la même façon qu'un cornet de cornet de glace, et l'extrémité forme une sort de cône qui, selon nous, permet que le liquide ne s'échappe pas de la langue quand ils l'extirpent.
Vous avez probablement remarqué que la langue est fourchue, mais c'est uniquement le cas quand la langue est submergée dans du liquide.
_ Les deux pointes se retrouvent collées l'une à l'autre par la tension de surface du liquide qui se trouve entre elles. Elles sont zippées ensemble quand on les enlève.
Et que se passe-t-il après que le colibri récupère sa langue dans son bec,
_ Et bien vous savez, c'est le grand prochain mystère...


Mais il s'avère que cette explication sur le fonctionnement de la langue du colibri ne fait pas l'unanimité dans la communauté scientifique. Une équipe d'Harvard a en effet contribué à la question en fournissant des nouvelles données sur les langues de colibris (ils ont mis un peu d'eau dans le nectar des conclusions de l'équipe précédente, si vous voyez ce que je veux dire...). En filmant le colibri à gorge rubis (Archilochus colubris) avec une caméra haute vitesse, ces chercheurs ont montré que ce colibri aspire le liquide en employant le mécanisme de capillarité. On voit bien ce type de succion dans ce film tourné au ralenti où la langue ne fait au final qu'effleurer la surface du liquide:
 



Cette autre vidéo, toujours au ralenti, se focalise sur l'extrémité de la langue dans laquelle on voit le nectar monter par capillarité:
 


Du coup, niveau compréhension du phénomène, on fait un peu du surplace et les certitudes battent de l'aile (ces jeux de mots pourris sont la propriété intellectuelle de Léo Grasset de DirtyBiology™). Il est cependant probable que les colibris soient en mesure d'utiliser leur langue de ces deux manières: aspirer par capillarité et se refermer sur le liquide. D'être en mesure d'utiliser les deux types de succion permettrait d'économiser de l'énergie en temps voulu, et d'autre part de pouvoir laper le nectar de fleurs de formes différentes.

Une question de Goût


Si les colibris sirotent du nectar à longueur de journée, on s'imagine facilement qu'ils doivent bien aimer le goût du sucré. Ca a l'air béta comme constatation, mais c'est en réalité crucial! On a souvent du mal à les concevoir ainsi, mais nos goûts sont des capacités de perception essentielles pour notre survie: le goût sucré nous informe ainsi sur la richesse en substances énergétiques dans un aliment tandis que le goût amer nous prévient qu'un aliment est probablement impropre à la consommation ou empoisonné. Chez la plupart des vertébrés, la perception des goûts est possible grâce à des papilles gustatives qui se trouvent essentiellement sur la langue. Chez d'autres animaux, ces détecteurs de goûts peuvent se trouver sur des organes aux positions plus exotiques: par exemple chez une mouche, on trouve des récepteurs de goûts sur la trompe, mais aussi dans le pharynx, sur les pattes, à la marge de ailes et sur l'ovipositeur (l'appareil permettant à la mouche femelle de déposer ses œufs)...
 

Les organes du goût chez les mammifères et la mouche drosophile, Liman et al., 2014
Toujours est-il que vertébrés et insectes partagent la capacité de discriminer au moins 5 goûts fondamentaux: le sucré, le salé, l'acide, l'amer et l'umami. Bon j'imagine que les 4 premiers vous sont familiers alors on va se concentrer sur le cinquième qui peut vous être inconnu. L'umami est un goût qu'on pourrait appeler aussi "savoureux". Parmi les aliments riches en umami, on trouve la viande, certains fromages comme le parmesan, les champignons de paris, les tomates mûres, la sauce soja, le jaune d'œuf, les truffes, etc. Et tous ces aliments ont le goût d'umami parce qu'ils contiennent un acide aminé, le L-glutamate, qui est reconnu par certains récepteurs gustatifs. En d'autres termes, ce goût est une indication que l'aliment ingéré est riche en protéines (et comme dirait Boulet, la viande, c'est la Force!). Petit résumé en vidéo:
 


Traduction:
Qu'est-ce que vous me diriez si je vous demandais de ne pas mettre de sel dans vos plats? Ou rien de sucré dans les recettes que vous réalisez. Comment cela vous affecterait-il en tant que chef (cette vidéo est adressée à des cuisiniers). Je suis sûr que vous répondriez quelque chose du genre 'attendez, mes plats n'auront pas bon goût!'. Exactement! Parce que nous avons tous grandis en apprenant qu'il y a 4 goûts basiques dans notre bouche: on connait tous, sucré, acide, salé et amer. Et on a cru cela pendant un bon moment jusqu'à ce qu'arrive cette chose appelée umami. Et ce qu'on a découvert c'est que l'umami est bel et bien un 5ème goût. Cela signifie que dans nos bouches nous avons la capacité de discerner ces 5 différents goûts. Et c'est assez important parce que chaque goût a une raison d'être là. Par exemple, si je mange quelque chose de sucré, ce que cela signifie à mon corps c'est que je consomme des calories et de l'énergie. Ou si je consomme quelque chose d'amer, ce que cela transmet à mon cerveau c'est 'attention, c'est peut être du poison'. Mais à travers une culture sociale on est en mesure d'apprendre à aimer
les aliments amers. Et pour l'umami? L'umami est fait de L- glutamate, un des acides aminés qui forme les unités de base des protéines. Ce qui signifie que l'umami est en réalité un moyen pour notre corps de percevoir (ou plutôt goûter) des protéines. Donc si on goûte un aliment qui a de l'umami, non seulement notre cerveau comprend qu'on mange quelque chose avec des protéines, mais cela envoie aussi le signal qu'on mange quelque chose de bon!
A vrai dire, je n'ai pas toujours cru en l'umami. Je faisais partie de ces gens qui n'était pas sûr que ce goût existait vraiment. Et surtout, je ne voulais pas utilise du Monosodium de glutamate (MSG). Et une fois, pendant, un de mes cours, j'ai parlé à un étudiant des philippines en disant qu'on n'utilise pas de MSG dans notre cuisine parce que c'est un peu suspect... Et un peut plus tard cette étudiante est venue me voir et m'a dit 'Chef, je ne comprends pas, qu'est ce qui est problématique avec le MSG, parce que quand je suis chez moi, ma mère en a en cuisine et j'ai grandi en en ajoutant sur de nombreux aliments.' Et là je commence à me poser des questions. Et puis elle me dit 'Chef, est-ce que vous en avez déjà testé sur des œufs brouillés?' Et alors immédiatement dans la cuisine nous avons fait des œufs brouillés, parce que j'étais curieux, et elle a rajouté du MSG et je n'ai pas pu croire en ce surplus de saveur. Et c'est à partir de ce moment que je me suis dit qu'il y avait peut être quelque chose d'intéressant derrière l'umami.


Bon vous en êtes sûrement à vous demander pourquoi je vous bassine avec ces questions de goûts et ce umami chelou. Et bien c'est qu'il s'agit d'un point essentiel pour comprendre un évènement évolutif fascinant qui est arrivé à nos petits colibris. En effet, alors que les gènes codant les récepteurs de certains goûts peuvent être très nombreux (il y a par exemple 25 gènes de récepteurs de l'amertume chez les humains), la plupart des vertébrés n'ont que 3 gènes impliqués dans la perception du sucré et de l'umami: des gènes nommés T1R1, T1R2 et T1R3 qui codent des protéines situées à la périphérie des cellules. Et c'est une combinaison de 2 de ces protéines qui constitue les récepteurs de goût: T1R2+T1R3 pour le sucré et T1R1+T1R3 pour l'umami.

Les récepteurs du goût sucré et Umami
Vu que les 5 goûts sont plutôt importants on a tendance à penser que tous les animaux sont capables de les distinguer. Mais je vous rappelle qu'on parle d'évolution ici, et que, comme à son habitude, elle aime bien ficher le souk dans nos idées préconçues. Ainsi, de nombreux animaux ont perdu la capacité de percevoir un ou plusieurs de ces goûts fondamentaux (quel manque de goût!). Les pandas ne perçoivent pas l'umami, les chauve-souris ne peuvent pas percevoir l'umami ou le sucré, la plupart des carnivores dont les chats ne perçoivent pas le sucré (pauvre JiJi), les cétacés ne perçoivent que le salé et les oiseaux ne sont pas capables de percevoir... le sucré.

Dude... Wait, what?
Dude… Wait, what? Si les oiseaux ne peuvent pas percevoir le goût du sucré, ça veut dire que les colibris, ces junkies du sucre, ne savent pas ce qu'ils sont en train de pomper de fleur en fleur? Y'a embûche, sous la capuche là!
Et pourtant, en cherchant la protéine T1R2 spécifique du récepteur sucré dans le génome de pleins d'oiseaux, on constate en effet qu'il est absent… Pourtant, T1R2 est bien présent dans le génome des crocodiles qui sont, je vous le rappelle, les plus proches cousins actuels des oiseaux. Cela signifie qu'au cours de l'évolution des oiseaux, la protéine T1R2 s'est fait la malle, laissant les piafs sans affinité particulière pour les sucreries... Que s'est-il passé alors chez les colibris pour que ceux-ci lapent si avidement le nectar des fleurs? S'ils n'avaient aucune affinité pour le sucre, ils ne devraient pas être en mesure de discriminer du nectar d'une flaque d'eau ou de diarrhée! Or des expériences réalisées sur des colibris sauvages et en captivité montrent bel et bien une attirance sélective pour les boissons sucrées chez les colibris:

Lecteur vidéo intégré


La première vidéo montre qu'un colibri à gorge rubis (Archilochus colubris) en captivité va choisir très rapidement sa boisson préférée entre de l'eau simple et de l'eau sucrée (après trois lapements qui durent seulement 132 ms!). La seconde vidéo montre, quant à elle, comment des colibris sauvages choisissent leur boisson préférée. On y voit ainsi des colibris d'Anna (Calypte anna) qui choisissent préférentiellement les tubes remplis de saccharose et qui ont carrément une réaction d'aversion quand ils goutent de l'eau mélangée à de l'aspartame (on la leur fait pas aux colibris! C'est le genre d'animal qui te détecte tout de suite la différence entre un Coca light et un Coca classic...).

L'équipe de chercheurs d'Harvard qui a réalisé ces vidéos s'est également penchée sur la question des récepteurs du goût sucré chez les colibris, notamment en étudiant leur protéine T1R3. En comparant le T1R3 des colibris avec celui d'autres oiseaux, ils se sont aperçus que le T1R3 des colibris montraient 19 mutations très spécifiques et différentes des séquences conservées de T1R3 de poulets ou de martinets. En utilisant des méthodes de transgénèse dans des cultures cellulaires (on met les protéines de colibris à la surface de cellules qu'on cultive ensuite dans des flacons et qu'on peut donc imbiber de différentes substances), ces chercheurs se sont rendus compte que la combinaison T1R1+T1R3 des colibris (la combinaison qui permet de reconnaitre le goût umami en temps normal) réagissait à la présence de molécules sucrées! Ces récepteurs modifiés réagissent donc au glutamate ET au substances sucrées! Cela permet de conclure que les colibris ont 'ré- acquis' le goût du sucré par une modification particulière de leur goût de l'umami!

Réacquisition du goût sucré chez les colibris par modification du récepteur à l'<em>umami</em>, Baldwin et al., 2014

Comme bricolage évolutif, on fait rarement plus tarabiscoté. D'autant plus que maintenant, une question philosophique se pose, à propos de laquelle je conclurai cet article: quand les colibris goûtent du nectar sucré, perçoivent-ils le goût de l'umami, celui du sucre ou un goût inédit (encore plus addictif)? (Question bonus: Et entre nous, humains, est-ce que le goût du sucré est le même?). Allez vous avez jusqu'à la semaine prochaine, pas plus de 2 copies doubles.

Les biologistes, eux, se posent une nouvelle fascinante question: comment est-on passé d'un oiseau insectivore incapable de reconnaitre des aliments sucrés à des oiseaux principalement nectarivores, addicts au sucre? Le scénario qui remporte le plus de succès pour l'instant, est le suivant: les oiseaux ancêtres de la lignée des colibris auraient chassé préférentiellement des insectes pollinisateurs ou nectarivores (et qui se retrouvaient donc plus souvent sur des fleurs). Du coup, cette interaction oiseau-insecte-fleur fait que ces populations d'oiseaux se trouvaient plus souvent en contact avec des fleurs, un terreau fertile pour générer de nouvelles interactions. En effet, des individus avec quelques variations génétiques leur donnant une once de discrimination pour le goût sucré se retrouvaient plus facilement à boire du nectar énergétique, un surplus d'énergie pour toutes leurs activités (chasse, reproduction, etc.). Un coup de baguette évolutive de mère sélection naturelle, et bim, une nouvelle préférence alimentaire est transmise à un lot d'individus. On suppose en plus que c'est cette préférence alimentaire qui est la clé du succès évolutif des colibris, succès qui continue de se concrétiser aujourd'hui. Mais il y a quand même 19 mutations qui se sont accumulées sur ce fameux récepteur T1R3 de colibri! Ca donner envie de savoir comment ces mutations ont été sélectionnées? Et bien des chercheurs pensent qu'il est envisageable de réaliser des expériences permettant de retracer l'ordre d'apparition de ces mutations pour reconstituer l'histoire évolutive de la protéine T1R3. En d'autres termes, on veut faire une reconstitution historique de la ré-acquisition de ce goût sucré chez les colibris. Il est probable quand même que cette étude ne soit pas circonscrite à 2 copies doubles...

Liens:
Article PetaPixel
Article Scientific American
Article GrrlScientist
Article Sci-News
Article Sweet Random Science
Article It’s Okay to be Smart
Article TYWKIWDBI
Article Laughing Squid
Article Science Friday
Article Wired
Article Guru Meditation
Article ScienceShot
Articles Not Exactly Rocket Science (1, 2, 3)
Article EurekAlert
The Internet Bird Collection: Hummingbirds
PBS Hummingbird: Magic in the air

Références:
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Rico-Guevara A, Rubega MA. The hummingbird tongue is a fluid trap, not a capillary tube. Proc Natl Acad Sci U S A. 2011;108(23):9356-60.
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Jiang P, Beauchamp GK. Evolution. Sensing nectar's sweetness. Science. 2014;345(6199):878-9.

Merci à Wonderful Wife™, Mme Déjantée et Karim de Sweet and Random Science pour la relecture de ce billet à rallonge!

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