Science

Guerre-éclair, coévolution et cuisson en papillotes

 

Quoi de mieux pour commencer l’année qu’un peu d’évolution, ou de coévolution pour être plus précis. Si nous avions déjà abordé la question dans deux des billets de la série galerie de membres consacrée aux penii les plus émoustillants du monde animal, il ne sera pas cette fois-ci question de sexe (désolé pour les amateurs). Non, aujourd’hui nous allons parler des batailles furieuses que se livrent les abeilles et un de leurs prédateurs: le frelon géant Vespa mandarinia japonica. Si vous suivez le blog depuis ses tendres débuts, ce sujet ne devrait pas vous être inconnu puisque Taupo y avait déjà consacré un court billet en janvier 2009 (pourquoi traiter de nouveau la même thématique me demanderez-vous? Parce que j’avais envie de détailler un peu certains aspects des relations abeilles/frelons et surtout parce que c’est effroyablement strange et funky). Plutôt que de m’épancher en descriptions dès le démarrage, je vous laisse regarder une vidéo (et lire sa transcription  pour les non anglophones) qui ne vous aidera pas à guérir votre entomophobie.

 

 

L’attaque des frelons géants de l’enfer!

 

 

Transcription:30 frelons convergent vers une ruche d’abeilles européennes, une espèce non native du japon. A l’intérieur de celle-ci se cache ce que recherche l’escadron : des larves, des pupes et surtout, du miel. Ces hyménoptères de 5 cm de long sont de redoutables prédateurs, leur dard délivre un venin si puissant qu’il peut dissoudre la chair humaine. Les frelons japonais sont en nette infériorité numérique (1 pour 1000), mais les abeilles européennes n’ont pas eu suffisamment de temps pour développer une stratégie défensive contre leurs mandibules déchiqueteuses. Les abeilles défendent la ruche (en réalité leur piqûre n’affecte que très peu les assaillants) mais il apparaît rapidement qu’elles ne font pas le poids face aux forces armées des frelons qui ne font pas de prisonniers (en vitesse de pointe, un frelon est capable de tuer une abeilles toutes les 1,5 secondes). En quelques minutes ils se fraient un passage et avancent à travers toute la ruche à coups de mandibules. Finalement, les frelons obtiennent leur butin : ils boivent le miel et, tels des barbares, enlèvent les larves des abeilles. Au fond de la ruche s’étend un champ de bataille où s’amoncellent les cadavres et les mourants. En seulement 3 heures, une trentaine de frelons ont massacré 30.000 abeilles. Vous pensez n’avoir rien à craindre ? Chaque année, des dizaines de personnes meurent d’une réaction violente à la piqûre de ce frelon (surtout les allergiques en vérité. Néanmoins, si le venin de frelon japonais n’est pas le plus violent parmi les hyménoptères, la quantité injectée lors d’un piqûre peut effectivement s’avérer mortelle, y compris pour une personne non allergique).”

 

Mais pourquoi sont-ils aussi méchants? Tout simplement parce que c’est comme ça qu’ils se nourrissent. En effet, le système digestif des frelons ne leur permet pas de d’absorber de protéines à l’état solide. Ils s’introduisent alors chez les abeilles pour boire leur miel et chercher des pupes ou des larves qu’ils ramèneront à leur propre nid. Là, ils mâcheront le butin avec leurs mandibules pour le réduire en une sorte de purée nourricière qu’ils offriront à leurs petits bébés frelons, lesquels sécrèteront à leur tour une gelée riche en protéines et digérable par les adultes. C’est y pas beau la solidarité? Si vous n’êtes pas convaincu de la nécessité qu’on les frelons à perpétrer ce massacre, sachez que contrairement à leurs parentes européennes, les abeilles japonaises savent se défendre contre l’envahisseur.

 

 

La défense brûlante des abeilles japonaises

 

(Note: le véritable contenu de la vidéo de commence qu’après la 22ème seconde)

 

 

 Transcription:Voici des abeilles qui ont construit leur ruche dans un arbre creux et qui, comme les autres, s’occupent de leurs larves. Mais ces abeilles sont natives du Japon, et ne sont pas aussi vulnérables que leurs cousines européennes. Elles ont développé une arme secrète contre les frelons géants, un atout dont elles ont grand besoin en cette saison meurtrière (l’automne, période de reproduction des frelons). Ce frelon est un éclaireur qui annonce la venue d’une attaque en masse à laquelle les abeilles ne pourraient pas faire face. Mais cette fois, les abeilles ont tendu un piège, elles veulent faire entrer le frelon dans la ruche et celui-ci se laisse prendre. La tâche principale de l’éclaireur est de marquer la ruche en y déposant des phéromones, afin que ses congénères la trouvent par la suite. Mais les abeilles japonaises connaissent les règles du jeu, en agitant leurs abdomens, elles se communiquent une stratégie de riposte. Elles feignent l’indifférence jusqu’au dernier moment, puis comme une seule, se jettent sur l’intrus. Le frelon est cerné par des centaines d’abeilles, qui le recouvrent complètement jusqu’à former une boule… mais ne le piquent pas. Au lieu de ça, comme le révèle la caméra thermique, elles font vibrer leur abdomen pour faire grimper la température à l’intérieur de la boule jusqu’à 117°F (environ 47,2°C). Les abeilles japonaises peuvent tolérer une température de 118°F (environ 47,8°C), en revanche la limite de résistance de leur victime est de 115°F (environ 46,1°C), le frelon éclaireur est ainsi doucement cuit à l’étouffée, et le secret de l’emplacement de la ruche meurt avec lui.”

 

Là où les abeilles européennes attendent la grosse offensive de frelons et se défendent en allant l’une après l’autre casser leur dard sur la cuticule des intrus, les japonaises, elles prennent les devants et la jouent collective, voilà la clé de leur succès. Toute la stratégie des frelons repose sur le travail des éclaireurs : Le premier à trouver l’entrée d’une ruche y dépose un paquet odorant de phéromones, en profite pour attraper une ou deux abeilles, puis retourne à son nid déposer le butin (pour nourrir les petits). Il fera ensuite plusieurs aller-retour selon le même modèle en attendant que ses petits copains repèrent eux aussi la ruche. Une fois en nombre suffisant, les frelons lanceront une une charge coordonnée avec le résultat que l’on connait (une fois réunis, les frelons parviennent presque toujours à s’introduire et à occuper la ruche, même chez des abeilles japonaises). Une bonne solution pour protéger la ruche est donc de descendre l’éclaireur avant qu’il ne retourne à sa base (l’idéal étant même de le faire avant qu’il ait déposé son paquet de phéromones). L’originalité des abeilles japonaises réside dans leur technique de cuisson du frelon (en papillote donc), plus subtile qu’une attaque à base de piqûres parfaitement inefficace (d’ailleurs, on ne retrouve pas de trace de morsures ni de dard sur les cadavres de frelon, preuve que les abeilles savent ce qu’elles font).

 

Mais en réalité, la température à elle seule ne suffit pas à tuer les assaillants. Depuis le tournage de ces vidéos, une étude a montré que dans des conditions normales (c’est à dire quand ils ne sont pas recouverts d’abeilles bourdonnantes) les frelons peuvent survivre à une température de 48°C (contre 51°C pour les abeilles). Par ailleurs, l’intérieur de la “boule” serait un peu mains chaud que précédemment annoncée (45-46°C).  Selon cette même équipe, c’est la combinaison de deux facteurs qui déclenche la mort de la victime. Le premier est bien entendu la température et le second est… le taux de CO2 (produit par les abeilles). En effet, une élévation de la teneur en dioxyde de carbone de l’air fragilise les frelons qui supportent alors moins bien une élévation de température, les abeilles quand à elles, ne semblent pas affectées par ce changement. Les envahisseurs meurent donc d’un mélange entre suffocation et bouffée de chaleur, étonnant non?

 

“Comment on fait pour maintenir les capteurs de CO2 et de température au milieu de la boule d’abeilles? Ben y’a qu’à scotcher les frelons dessus!”

(Source : Sugahara et Sakamoto, 2009)

 

 

Et l’évolution dans tout ça?

 

Pourquoi les abeilles japonaise, Apis cerana japonica,  savent-elles mieux se défendre que leurs cousines européennes, Apis mellifera? La réponse saute aux yeux : elles connaissent leur adversaire. Le problème des abeilles européennes est qu’elles n’ont jamais eu affaire à de pareilles machines à tuer dans leur environnement naturel. Depuis que ce prédateur a été introduit accidentellement en Europe (et s’y est apparemment bien acclimaté), il constitue une gigantesque pression de sélection pour les espèces locales et par conséquent, une menace pour leur pérennité. En effet (désolé de rabâcher, c’est le côté “enseignant en licence” qui ressort), les organismes vivants ne se transforment pas spontanément en réponse aux changements de leur environnement. L’apparente adaptation au milieu que l’on observe dans la nature est en réalité le résultat d’un processus de sélection, dans lequel les espèces sont en grande partie passives. Celles qui ne seront pas d’emblée suffisamment résistantes seront tout simplement éliminées et les autres survivront par leurs propres moyens jusqu’à décliner à leur tour ou peut être voir leur condition s’améliorer au fil des génération à la faveur de nouvelles mutations. L’extinction des espèces fait partie du processus de l’évolution (l’émergence de nouvelles aussi, il faut aussi voir les bons côtés).

 

Comment se fait-il que les abeilles japonaises s’en sortent mieux alors? Elles aussi ont subissent la pression de sélection engendrée par la présence des frelons? Eh bien non! ou plutôt “pas depuis le début”. En effet, avant que l’homme n’importe des nids de frelons cachés dans des poteries ou des containers de fruits, Apis cerana japonica et Vespa mandarinia japonica étaient (comme leurs noms l’indiquent) des variétés endémiques du japon. Elles ont cohabité sur le même territoire “depuis la nuit des temps” pourrait-on dire. Ainsi, il est probable qu’au moment de leurs émergences respectives, ces espèces aient eu un comportement très différent de celui qu’on leur connait aujourd’hui. Elles auraient ensuite élaboré leurs stratégies d’attaque/défense en réponse l’une à l’autre (évolution en parallèle ou coévolution). Selon le scénario imaginé par les auteurs de la première étude, ce seraient les abeilles qui les premières auraient développé la technique de la “boule” pour se protéger des attaques de frelons isolés. Par la suite, pressés par le besoin de nourriture et devant la nécessité d’attaquer suffisamment fort pour passer ces défenses, le comportement d’éclaireur qui dépose des phéromones pour recruter ses congénères aurait émergé chez les frelons. Pour terminer, un petit zoom sur la tête de ce frelon asiatique qui est tout de même un très bel animal.

 

 

 

Références

 

  • Unusual thermal defense by a honeybee ahainst mass attack by hornets. Ono et al. Nature, 1995.
  • Heat and carbon dioxide generated by honeybees jointly act to kill hornets. Sugahara et Sakamoto. Naturwissenschaften, 2009.

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